SYSTEME ET LECTURE DU JEU : est-ce compatible?

B. Grosgeorge, Basketball, n° 604, Nov 95

 

L'évolution du jeu s'est toujours caractérisée par l'introduction de concepts américains comme: shuffle, passing game, ffex, motion, spacing, etc ... (pour caractériser des conceptions d'attaque) ou encore: press, run and jump, match-up, etc... (pour la défense) sans que soit toujours avancée une définition claire et univoque. Pour les entraîneurs européens, vient en outre se greffer des difficultés (ou impossibilités) de traduction. Des interprétations différentes viennent alors brouiller la communication entre entraîneurs (voire entre entraîneurs et joueurs).

Prenons l'exemple de "flex offense", la plupart des entraîneurs caractérisent ce système d'attaque par:

-une option collective de jeu avec une utilisation modérée de la spécialisation liée aux postes de jeu

- une continuité de telle sorte que le dispositif de base soit reconstruit après quelques passes

- une importance accordée à la continuité des actions de chaque joueur (passe, pose d'écran, replacement, réception et exploitation d'écran, replacement...

Cette forme de jeu est trop souvent (à tort) réduite au mouvement de base le plus connu, conçu pour attaquer les défenses "Homme à Homme" (Fig. N' la, 1 b de l'article page précédente). Cette continuité est abordée à tort, dans la plupart des cas comme quelque chose d'assez mécanique et la lecture du jeu adverse reste implicite. Les joueurs doivent reproduire des déplacements et compter sur leur "feeling" pour jouer correctement.

Pour d'autres entraîneurs, cette organisation d'attaque est complétée par d'autres éléments qui cherchent à:

- masquer l'entrée dans le mouvement de base en partant de dispositifs d'attaque différents ou en interposant une ou deux combinaisons avant de retomber sur le mouvement de base.

- Imaginer et proposer des parades qui seront ensuite apprises par les joueurs comme par exemple:

- sur forte contestation de la passe horizontale : faire un "back pick" d'un non porteur et une passe sautée pour l'arrière qui est réceptionneur logique ...

- sur anticipation d'un défenseur contre un non porteur (par glissement ou changement), réaliser un "come back" ...

Selon les actions prévisibles des adversaires, le choix des alternatives de jeu est alors évoqué de façon explicite et la décision des joueurs est laissée libre. Ici, le système devient un prétexte, c'est une question posée à la défense.

Entre ces deux approches, la place accordée par l'entraîneur à la lecture du jeu est fondamentalement différente, Les entraîneurs, qui se situent sur le second pôle (exposé ci-dessus), préconisent l'utilisation du système de base avec des variantes (ou adaptations) qu'ils peuvent eux-mêmes inventer. Selon ces derniers, le système ne s'oppose pas à la lecture du jeu.

Autant cette position est recevable si elle concerne des joueurs expérimentés, autant elle surestime chez les jeunes qui sont peu entraînés, leur capacité de lecture dans les techniques les plus élémentaires. Si ces pré-requis ne sont pas assimilés, différents types de problèmes peuvent alors apparaître :

1. Sur le plan de l'orientation et de la disponibilité mentale du joueur

- Tout d'abord, il faut rappeler que le sujet perçoit l'environnement et agit en fonction de ses possibilités morpho-énergétiques et de l'idée qu'il se fait de sa réussite (rôle du modèle mental tel qu'il est décrit dans l'approche écologique de l'apprentissage moteur). Si le joueur n'a pas construit et intériorisé son propre système de référence et qu'il agit par discipline, il devient comme atteint de cécité et ne peut transformer ses actions pour les rendre compatibles avec les possibilités offertes par le jeu.

1. Ensuite, même si le joueur intègre la consigne de l'entraîneur pour en faire sa propre action, avec peu de pratique, Il lui sera difficile de partager son attention sur la prise en compte des espaces qui se ferment ou qui s'ouvrent (variables perceptives qui pèsent comme des contraintes sur l'action) et les aspects collectifs de l'organisation de l'équipe.

2. Sur le plan de la dynamique sociale de l'équipe Une présence trop pesante de l'entraîneur à travers le système de jeu, risque de tuer le jeu. Cette attitude peut aussi créer un conflit entre la dynamique sociale de réussite recherchée par l'équipe et la dynamique personnelle des joueurs qui ont le sentiment de ne pas pouvoir agir librement sur le cours des événements. Paradoxalement, ce type de "sur-coaching", risque de renforcer les stratégies d'affirmation de soi (le joueur tente de démontrer qu'il est le meilleur dans les actions les plus difficiles à négocier) et d'augmenter le nombre de tirs en situation défavorable, comme cela a déjà été démontré au football chez des jeunes espoirs régionaux (Rey, 1994). Le rapport entre soi et l'adversaire risque alors de se trouver désactivé.

Les entraîneurs ne doivent jamais oublier que les comportements des joueurs sont aussi le reflet des régulations sociales qu'ils instaurent. Les entraîneur participe indirectement sur les événements objectifs du rapport de force.

Pour revenir à notre exemple d'attaque de type flex, conscients de ces problèmes, quelques entraîneurs l'utilisent avec des joueurs expérimentés dans un sens beaucoup plus large (sans nécessairement utiliser systématiquement un écran pour le porteur d'écran) en insistant sur l'utilisation de l'espace en fonction des déplacements des joueurs. Dans cette optique, il n'est donc pas étonnant que l'on puisse utiliser flex contre une défense de zone (voir l'article page précédente).