Des tirs, oui mais aussi ... de la méthode
B. Grosgeorge

Basketball n°612

L’augmentation du volume d’entraînement s’est répercuté sur la place accordée aux tirs dans les séances, elle représente aujourd’hui près de 40% du temps d’entraînement. Pourtant, les entraîneurs se plaignent souvent de ne pas disposer d’un tireur fiable, régulier, capable de faire exploser une zone ... alors que ces mêmes joueurs se révèlent parallèlement, capables de faire des séries remarquables à l’entraînement ...

La quantité de tirs n’est peut-être pas une condition suffisante pour transférer la réussite constatée à l’entraînement, en situation de compétition ? Revenons sur les différents facteurs susceptibles de perturber le tireur en match :

- un manque de préparation collective et individuelle précédant le tir
- une technique gestuelle encore instable
- une mauvaise lecture du tireur
- une difficulté à surmonter l’enjeu
- un manque de préparation physique (générale ou spécifique) ...

La méthode d’entraînement préconisée n’est jamais évoquée et pourtant, elle n’est peut-être pas neutre ?

L’approche traditionnelle consiste à dire, qu’il faut répéter, rendre le geste automatique voire machinal et qu’il faut en faire et en refaire ... La répétition du tir étant préconisé avec un minimum d’interruption par d’autres activités (comme par exemple les 100 lancers francs de fin d’entraînement ou encore des grilles de tirs réalisées à partir de positions standard, sans déplacement ou sans dribble).

Cette consolidation de l’habileté permet d’obtenir de bons résultats immédiats, chez ceux qui maîtrisent assez mal leur technique, mais pour des joueurs confirmés en est-il de même ? Que reste-t-il de tous ces efforts un mois après ? Ces acquisitions sont elles bien mémorisées à long terme?

Si l’on se fie aux travaux des spécialistes de l’apprentissage ( Shea et Morgan cités par Schmidt*), il n’en est rien. Pour une personne qui a déjà une technique correcte, le fait de s’entraîner en réduisant la difficulté par rapport à celle du match incite à s’exercer dans un environnement très prévisible dans lequel le tireur n’a que peu de paramètres à combiner (force, direction trajectoire), avec toute liberté de choisir son propre rythme d’exécution. A faire et refaire des gestes identiques on n’apprend pas à se construire des sensations à les ressentir. Pour ces motifs, ce genre de pratique " en bloc " ne permet pas de bien mémoriser ce qui est appris, elle est inefficace dans le long terme.

Pour une conception compatible avec les " savoir d’aujourd’hui "

Au cours du jeu la variabilité est une partie intégrante de l’habileté technique (la vitesse de réalisation n’est jamais constante). L’attention joue donc un rôle essentiel, elle s’exprime dans la relation du joueur avec tous les objets du jeu (espace, cible, balle, joueurs, score ...) pour réaliser l’action souhaitée. C’est une inadéquation de la manipulation des paramètres du mouvement qui est à la source d’une exécution défectueuse. Comme les situations changent constamment, les processus cognitifs (orientation de l’action, choix des impulsions, décision, exécution et contrôle) jouent un rôle déterminant.

Comme le préconisent les auteurs déjà cités, il serait souhaitable d’inciter les tireurs à recréer et élaborer des solutions différentes plutôt que de les laisser se satisfaire à reproduire les mêmes gestes . Le fait de passer d’une tâche " A " à une tâche " B " renforcerait l’oubli de la tâche " A " et inciterait davantage le joueur à solliciter son attention pour générer de nouveau la tâche " A " lorsqu’il reprend un autre essai. Le processus d’élaboration d’une solution plutôt que celui d’une reproduction profiterait davantage à l’apprentissage.

Dans le même ordre d’idées, l’analyse de performances en dribbles chez des joueurs de football expérimentés (Ouattara**) devrait inciter les entraîneurs à augmenter les contraintes qui pèsent sur les joueurs en rendant volontairement les tâches plus complexes que celles à réaliser en match.

Voici à titre d’exemple un modèle pour réaliser une série de tirs extérieurs

1. Pour des tirs sans opposition, l’entraîneur détermine :

- si les tirs sont consécutifs ou alternés (joueur 1- tir n°1; j2- tir n°1; j1-tir n°2, j 2-tir n°2 ...).,
- si les tirs se font en circuit ou au contraire par " spots " de tirs
(compte-tenu de ce que nous venons de dire, il serait préférable de proposer des circuits en alternant les tireurs, plutôt que des spots de tirs)

2. Pour le même tir, le tireur doit impérativement faire varier le rythme d’exécution (le tireur fait 2 tirs au même emplacement)

- tirs impairs à vitesse moyenne (t1, t3, t5 ...)
- tirs pairs à vitesse élevée (t2, t4, t6 ...)

3. Ensuite le tireur combine librement à sa guise différentes modalités d’exécution :

- réception face ou dos à la cible
- combiné à du jonglage ou non
- sans dribble ou avec dribble

= départ en dribble croisé sans feinte
= idem après une feinte de passe ou (et) de départ direct

- sans feinte ou avec feinte avant le tir
- distance de tir variable
- d’enchaînement ultérieur (rebond offensif ou jeu de jambes de replacement avant le retour de la balle du passeur)

Cette pratique " variable ", voire " aléatoire " (lorsqu’elle intègre simultanément d’autres apprentissage techniques de dribbles, arrêts, jeu de jambes ... en ne répétant jamais dans le même ordre les enchaînements gestuels) laisse des traces plus significatives et plus distinctives et augmente ainsi la force de la mémoire.

En demandant toujours beaucoup d’attention aux joueurs bien qu’ils aient déjà de bons automatismes gestuels on lutte ainsi contre une conception machinale de l’entraînement.

Les situations ou séquences d’entraînement qui reposent sur de tels modèles sont certes plus complexes à mettre en place par l’entraîneur et sollicitent davantage la créativité des joueurs mais l’enjeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

* Schmidt (R.A).- Apprentissage moteur et performance, Paris, Vigot, 1993
** Ouattara (O).- Mémoire pour le diplôme de l’INSEP, 1993